Lieu sous surveillance .. [PV The Geek =P]

"Voila, mademoiselle, la clé de votre chambre. "

La jeune fille tendit la main, attrapant le jeu de clés qui pendait entre le pouce et l'index de la cinquantenaire. Elle réussit à bougonner un rapide "merci", avant de tourner les talons et ramasser ses valises. Les clés,calées entre la poignée de la valise de sa main droite et sa paume, rentraient dans sa peau, y laissant une marque rougeâtre, irritée.Ca passera, évidemment. Mais Sharwyn n'aime pas que son corps soit déformé, qu'elle qu'en soit la nature. Elle grogna donc, sous la petite douleur que lui procurait ses charges. Comme par hasard, fallait monter un étage. Heureusement pour elle,un ascenseur avait été conçu à cet effet. Elle s'y engouffra, non sans avoir au préalable chipé quelques crayons à papiers et échantillons de gel douche à l'effigie de l'école, dans le hall, à la réception. Elle posa ses valises et fourra les crayons et les échantillons dans la poche de son pantacourt vert, entre la pomme et le pastel très clair. Son débardeur, d'un teint virant plutôt à la pêche, rappelait sans efforts un plat, fruité, vif, appétissant. Ses talons hauts, dénudés au niveau de ses orteils et de ses chevilles fines, paraissaient être des chaussures d'été. Et pourtant, c'était pas vraiment la saison .. Mais Sharwyn s'habillait toujours comme ça. Jamais comme les autres.

Il était midi. La belle n'avait pas de montre, fait surprenant vu le nombre de ces dernières qu'elle avait dû piqué. Pourtant, cela ne la dérangeait pas, pour le moment. Elle avait perdu la sienne dans l'avion. Très embêtant pour son "travail", mais sinon .. Son corps se chargeait du reste. La preuve : Dès qu'elle ouvrit la porte de la chambre qu'on lui avait attribué, la jeune femme posa ses valises, et un gargouillis sonore s'échappa de son estomac. Elle eut un demi sourire narquois envers elle même. Ou plutôt envers l'image d'elle que renvoyait le miroir de sa chambre. Une nouvelle chambre, d'ailleurs. Vu qu'elle était seule à l'occuper pour le moment. Bah, elle s'arrangerait pour ne pas avoir à l'occuper avec qui que ce soit. Comme ça, pas de questions, ou de soupçons sur son identité, etc ..

Finalement, elle soupira, son ventre la rappelant toujours à l'ordre, et elle décida de défaire ses valises une fois repue. La jeune fille se rendit donc jusqu'à la cafétéria. Dans les couloirs, elle marchait d'un bon pas, mais une sonnerie retentit alors. Les cours. Qui finissaient. Les ados affluèrent. Elle les regardait, fascinée par tant de gens, tant de styles différents. Elle évitait soigneusement de les toucher, et son cœur s'accéléra alors que son instinct agoraphobe commençait à l'envahir. Pour ne pas céder à la panique, elle décida de ne pas perdre de vue son objectif premier. La cafétéria. Elle s'avança, les yeux rivés sur le panneau, écrit en majuscules rouges, à une cinquantaine de mètres. Elle ne vit pas l'inconnu qui lui rentra dedans. Sa respiration se coupa net, alors qu'elle était projetée vers l'arrière. Elle battit violemment des bras, s'empêchant de chuter bêtement sur le derrière, dans toute cette foule. Elle avait si peur de se noyer dans cet océan de bras, de jambes et de corps ..

Elle grogna, sourdement, se redressant, une lueur sauvage dans les yeux. Son regard avait viré de l'émeraude au bleu profond et sombre. Campée fermement sur ses deux jambes, tentant de dominer l'inconnu de son mètre quatre vingt trois(avec talons), elle posa ses mains contre ses hanches, et se pencha légèrement, d'un air sauvageon et arrogant. Sa position aurait pu être qualifiée de "sexy", mais son air rageur témoignait bien évidemment du contraire.

"Bon sang, mais vous pourriez pas faire gaffe d'où vous foutez vos pattes ! "

Elle avait craché ça d'un ton dédaigneux. La foule se mit alors à les contourner soigneusement. Ça avait tout l'air d'être une scène de cow boys, vu comment c'était présenté. Il ne manquait que la botte de paille qui volète derrière .. Son regard doux, gracile, aux traits fins et délicats, dégageait un tel sentiment de pureté, que la violence de ses paroles de charretière avait du choquer. Elle le/la toisait, grognant toujours, essayant de déterminer son sexe, son age, son niveau d'acuité visuelle, et surtout, de stupidité.

Il avait l'air d'un adolescent tombé du nid, à défaut d'être tombé du lit. Le cheveu peigné, et l'uniforme repassé, il ressemblait à tout le monde, ou presque. En dehors du lycée, il ressemblait à un skater venu d'ailleurs, avec ses jeans élimés, ses converses et ses t-shirts étranges. Mais le plus remarquable, chez lui, n'était pas son air passablement passe-partout. Non, ce ne serait pas drôle, voyons! Sa particularité était d'être plus petit que la plupart des gens, surtout des garçons de sa classe, et d'avoir un magnifique regard gris-bleu. Mais le top du top, la chose qui faisait de lui le candidat idéal au bizutage, était sa timidité à toute épreuve. Parce qu'Aymeric était un jeune homme qui avait du mal à s'affirmer, et à tenir tête. Problèmes familiaux, peut-être... caractère inné, certainement.

A part ses quelques amis, on riait de lui. Et pour couronner le tout (parce que lui, le tableau pouvait ENCORE être agrémenté de quelques détails), il était la nouvelle victime de Briana Kimball, une peste qui le dépassait de 5cms sans talons, à la personnalité forte, et accessoirement très jolie. Une vipère. Un démon.
Les dernières semaines de la vie d'Aymeric avaient été cauchemardesques, et cela ne semblait pas s'améliorer. Il se disait "vivement la fac", en pensant que ça irait mieux une fois sorti du lycée... mais il ne savait même pas quelles études faire, en dehors de musicologie ou beaux arts, chose que ses parents refuseraient niet de financer! Ha non, si Aymeric ne se lançait pas dans des hautes études sérieuses, autant le mettre au turbin! Pas de ça ici, non mais! Hélas! Aymeric n'avait rien de son grand frère, Johann, le si brillant étudiant de Princeton.

Aymeric était un artiste que sa famille ignorait douloureusement. Il avait quelques publications dans le journal du lycée, grâce à ses petites BDs amusantes... mais ça n'allait pas plus loin.
Et les brimades répétées au lycée le mettaient au bout du rouleau...

Il n'était donc pas très bien luné quand il quitta les cours ce midi là. Il se sentait fatigué, et paradoxalement dans une forme extraordinaire. Le moral à zéro, le physique au top. Il faisait ses quinze kilomètres à vélo sans sourciller. Et il allait au lycée, pourtant à quelques minutes de chez lui, en trainant les pieds.
Et tout le monde s'en foutait royalement.

Même ses amis étaient moins présent à ses côtés, disant qu'il avait changé depuis sa disparition, et surtout son retour. Pour la première fois de sa vie, il se sentait seul au monde. Réellement seul. Il avait tant rêvé de solitude sur une île déserte pour ne rien entendre, surtout les rires moqueurs. Mais le lycée n'était pas une île, et son Robinson intérieur n'était heureux qu'en compagnie de ses amis. Contradictions, parfois.

Il n'avait pas très faim... aussi préféra-t-il éviter la cafétéria, pour manger son petit sandwich dehors, à l'abri de ce monde de brutes.
Dans la tourmente de son esprit en ébullition, il ne faisait pas attention où il allait. Et bien évidemment, il y avait quelqu'un sur son chemin qui n'avançait pas au même rythme que les autres, et qui ne l'avait pas non plus remarqué.
*De toute façon, personne ne me voit, sauf quand c'est pour rire de moi!* La collision fut inévitable.

Il marmonna un faible "désolé, j'avais pas vu" d'un ton morne et las.

Et la réaction ne se fit pas attendre. Il se demanda sur le coup si Briana n'avait pas briefé quelques autres filles de l'école sur la conduite à tenir au cas où elles rencontreraient Aymeric le loser.
Il la regarda... il ne l'avait jamais vue ici... *Ouf, Briana n'est pas dans le coup!* Ce fut sa première pensée en constatant que la fille en face de lui n'était pas du coin.
Mais il fut troublé par le paradoxe en marche... Elle avait un visage doux, des yeux d'ange... et un langage des plus détonnant! Il cligna des yeux... Etait-ce à elle, cette voix?

-... Heu... bah... désolé... j'avais pas vu... je... bah...

Pourvu qu'elle n'ait pas les mêmes idées sadiques que Briana! Il était prêt à fuir à toutes jambes s'il le fallait, et tant pis pour la réputation, elle ne pouvait guère être pire, de toute manière!
En tout cas, il se sentit examiné... et en plus, elle était très grande - talons certes - et encore une fois, il était petit! 1m68 avec ses semelles... pas génial, à côté de toutes ces filles...

Un nain de jardin. Un simple petit marmot. C'était tout ce qu'elle avait trouvé comme adversaire, lorsqu'elle avait toisé l'inconnu. C'était un garçon. On aurait pu en douter, malgré la longueur de ses cheveux, et leur aspect si lisse, tant son visage était doté de traits fins et androgynes. Un môme qui en aurait fait craquer plus d'une de son âge .. Mais Sharwyn ne s'en formalisa pas. Elle avait deux ans de plus que lui,assurément. Le brunot, d'une quinzaine d'années sûrement, lui renvoya un regard empreint d'une peur naissante. On sentait l'angoisse qui brûlait sa gorge, l'empêchant de répondre à la belle femme, qui avait pourtant, tout l'air d'être une sacrée mégère. Ses mains posées sur ses hanches, d'un air osé, elle ne quittait pas le môme des yeux. Il ne partirait pas sans explications, ou sans excuses préalables. Il tenta vainement de bégayer quelque chose, que la jeune femme n'entendit pas dans la cohue.

La première chose qu'elle remarqua ne fut pas son visage, mais la manière dont il se tenait, presque voùté, éreinté, comme épuisé. Un problème avec ses compères lycéens ? Un point faible tout trouvé, au cas où il y aurait de la casse .. Elle lâcha ses hanches, croisant ses fins bras contre sa poitrine, d'un air rageur

"P'tain ces fou ce que les marmots me foncent dedans aveuglément ces temps ci."

Elle n'avait pas quitté le marmot des yeux. Ce dernier semblait avoir limite les larmes qui lui montaient aux yeux. Ce qui rassura amplement Sharwyn, qui en profita pour faire un pas de plus vers lui, imposante. Le garçon tenta de déguerpir, mais ses jambes ne lui obéissaient plus. Alors qu'elle s'apprêtait sans doute à lui faire comprendre, violemment, qu'il ne fallait plus jamais qu'il la touche, elle se tourna à demi vers un homme, spectateur de la scène d'un peu trop près. Lorsque la femme le fixa, il tressaillit, mais ne se laissa pas démonter lorsqu'elle le pointa d'un doigt rageur.

"De quoi tu te mêles ? C'est ton frère ? Si nan, y'a rien à voir ! Dégage !"

Elle chercha l'air de ressemblance entre eux. Ni les mêmes traits du visage,ni les mêmes natures de cheveux. Ils n'étaient pas de la même famille. Finalement, un élan de compassion sembla paraître, et elle se repencha vers le gamin brun.

"Ne me touche plus jamais .. C'est clair ?"

Le petit continuait à bafouiller, maladroitement. Il semblait sincère. Ou plutôt,il semblait tenir à sa vie. La belle se redressa alors, son regard virant au bleu océan. Elle sentit son cœur arrêter de cogner comme un fou dans sa cage thoracique. D'un mouvement, elle poussa l'épaule du garçon, brusquement, mais sans violence, ce qui l'envoya deux pas plus en arrière

"Allez, vas t'en .."

Sharwyn pensa qu'il n'en faudrait pas plus pour qu'il disparaisse. La femme semblait être redevenue calme. Il n'y avait plus personne, dans les couloirs. En cinq minutes, on passait de la foule au vide total. Elle soupira, longuement, avant de sentir une présence, derrière elle. La jeune femme se retourna, vivement, méfiante, et reconnut ledit gamin qui n'avait pas bougé. Elle fourra ses mains dans ses poches, d'un air un peu gêné. Que dire ? Finalement, elle bredouilla dans sa barbe(inexistante <_<)

"Qu'est ce que tu fais encore là ? Fais donc comme les autres, vas bouffer .."

Elle se laissa tomber dans le vide. D'un coup. Une demi seconde, seulement. Le temps que son dos dénudé heurte le mur froid et rugueux du couloir. Son regard était redevenu saphir. Elle fixait l'homme, intensément, plantant ses prunelles dans celles de son locuteur. Le silence s'installa. Un silence morbide ..

Non, non, il n'avait pas peur... c'était juste que... hé bien... il était intimidé, au bout du rouleau, dominé...
Ouais, bon, OK, il avait peur! Mais il avait surtout une haine qui refusait de sortir et de s'exprimer. Une haine cadenassée. Pourtant, il en aurait des choses à dire, des beignes à donner, les coups à rendre! Mais rien ne venait... Le verrou tenait trop bien. Il n'y avait que cette timidité maladive qui l'empêchait même d'aborder une fille qui lui plaisait... ou même n'importe qui, d'ailleurs.
Vu comme ça, ouais, on pouvait se dire que c'était un minable, un raté total, et que sa famille avait de quoi être déçue.

Il aurait voulu hurler qu'il était humain, et qu'il avait droit à un minimum de respect (le tout en plaçant un joli 'bordel de merde!" en fin de phrase.)

Il eut une mine déconfite quand elle le traita de marmot... 17 ans, majeur dans un peu plus de six mois... plus un marmot, quoi! Mais elle ne pouvait pas le savoir... quand bien même! Il n'avait pas besoin qu'on lui rappelle d'une manière ou d'une autre, qu'il était petit et qu'il n'atteindrait peut-être jamais 1m70!

Un homme faillit se mêler de l'histoire... ou pas! En tout cas, il fut vite refroidi! Elle n'était pas commode. Et malgré le contraste entre ses paroles et son visage, Aymeric se dit qu'il aurait dpu foncer dans un mur, ça aurait été moins douloureux... parce que maintenant, il s'attendait au pire... appelez ça, l'effet Briana. Garanti longue durée.
Passé ce petit interlude durant lequel il avait observé la nouvelle élève, cette dernière revint à lui... pour lui ordonner de ne plus la toucher...

-Bah... j'ai rien fait... enfin c'est pas ma faute... j'ai pas fait exprès... j'avais juste pas vu... enfin... désolé...

*Pourquoi c'est toujours ma faute?* pensait-il. Même quand les gens lui fonçaient volontairement dessus, c'était encore sa faute! y'en avait ras-le-bol à la fin! Mais bon, voilà, à priori, ils avaient été deux à ne pas se voir!
L'incident semblait clos, quand elle lui dit de partir... Mais il resta collé sur place... Il n'avait jamais vu pareil regard, si intense, si changeant... Il se demandait qui elle pouvait être. Sa main sur son épaule n'avait pas été la tornade vengeresse à laquelle il s'était attendue. C'était plutôt non violent, seulement pour l'écarter de son chemin. Elle était, finalement, tout simplement bizarre.

Les couloirs se vidèrent... le spectacle était terminé... tout le monde avait rendez-vous à la cafétéria ou bien dehors... Hé oui, ils n'allaient pas déjeuner dans le vide assez dans un couloir! Seuls restèrent, en fin de compte, les deux acteurs de la collision. Elle se retourna et vit qu'il n'était pas parti. Il baissa les yeux.

-J'ai pas faim...

Pour toute réponse qui n'atteignit certainement pas les oreilles de la belle... Elle venait de tomber, évanouie, d'un seul coup, sans prévenir. Oui, la bienséance veut qu'on prévienne quand on tourne de l'œil, non mais! Les yeux saphirs, fixes... La peau pâle. Elle ne bougeait pas.
Il s'approcha d'elle... et constata qu'elle respirait, c'était déjà ça...

Et il n'y avait plus personne dans les couloirs à ce moment là, bien évidemment! Un surveillant passa par là (le même qu'avant), et s'approcha lui aussi...
-Allez prévenir l'infirmerie, ou les secours, n'importe qui!
Pour une fois, Aymeric avait une voix normale, une voix adulte, ferme. Le surveillant, estimant que le "gamin" avait raison, lui dit de rester ici pendant qu'il alertait les secours...

*C'est pas vrai c'est pas mon jour...* mais ce n'était pas son jour tous les jours depuis trois semaines... ou pire depuis quatre mois... depuis qu'on avait diagnostiqué son étrange maladie... maladie qu'il n'avait plus, apparemment, depuis son étrange retour, deux semaines plus tôt...
Il regarda de nouveau la jeune femme. Il s'agenouilla à ses côtés, et lui tapota la joue, et tant pis pour l'interdiction! Peut-être qu'elle se réveillerait! Il préférait quand même qu'elle soit éveillée, quitte à se prendre une dérouillée, plutôt que de la voir là, blafarde, limite moribonde!

-Hé...

Il ne pouvait détacher son regard des yeux saphir de la jeune femme. C'étaient forcément les plus beaux yeux qu'il ait jamais vu de sa vie... Mais ça ne changeait rien à la donne!

-... T'es encore vivante...?

Question idiote, puisqu'il voyait bien que oui, elle respirait! Mais que faisaient les secours...?

Les larmes ne coulèrent pas, comme d'habitude, mais son regard changea de couleur, évidemment. Ses iris se teintèrent d'un bleu si clair qu'il en était blanc, glacial, iceberg dans cet océan de porcelaine, peau laiteuse et douce. Quelques pas dans sa direction, qu'elle n'entendit même pas. Une ombre furtive s'avançant vers elle. Un pion.

Un instant d'hésitation. Puis l'être disparut de nouveau. Le gamin quant à lui, s'agenouilla près d'elle, et se mit à tenter de la réveiller. Sharwyn fronça des sourcils, comme voulant échapper au toucher du garçon, mais ses muscles ne suivirent pas. Son esprit voulait se débattre, mais son corps était hors service. Un râle étouffé intima au jeunot de cesser de lui tapoter les joues ainsi. Elle sentit sa tête dodeliner contre le poignet du brun. Car oui, il était brun. Une tignasse foisonnante, une crinière fournie, d'un noir de jais. Un Petit Homme.

Il parla, elle n'entendit rien. Elle continuait à délirer auprès du garçon. Les yeux entrouverts, vitreux, elle tendit un bras tremblant vers le visage invisible de l'inconnu. L'espoir naquit un instant dans son regard, avant que la lueur blafarde d'un des lampadaires de l'école ne lui fasse subir une lourde désillusion. Les traits qu'elle s'apprêtait à effleurer n'étaient ceux de son Herkos qu'elle appréciait tant , comme elle le pensait. Elle expira violemment, de stupeur, et ramena vivement sa main contre sa poitrine. Ses yeux étaient toujours couleur de perle et de glace, et ses lèvres frémissaient, alors qu'elle psalmodiait des paroles inaudibles à l'inconnu. Elle semblait de pas bien se rappeler de celui qui lui avait pourtant foncé dedans seulement quelques instants auparavant.

Ses traits étaient fins, joliment dessinés. Mais quelque chose dans sa prestance le rendait infiniment fragile et facile à écraser. Sa façon de pincer les lèvres permettait d'affirmer qu'il ne devait sourire que très rarement. Cela se lisait dans les yeux du brun. Peut être voulait il rester impassible, mais la belle avait décrypté bien des regards avant le sien. Et sa conclusion était arrivée très vite dans son esprit. Le mixage de toute ses pensées, donnait une seule phrase. Cet homme n'était pas commun. Il fallait l'éviter à tout prix.

Tremblante, elle fut sortie de ses pensées par la porte du hall d'entrée. Les pas du surveillant étaient étouffés par la moquette. Il savait se faire discret. Elle se demandait où est ce qu'il l'emmènerait. L'image des murs blancs de l'hôpital lui revinrent en mémoire, et elle poussa un grognement de mécontentement. De ses lèvres, s'échappa un bref murmure

"Pas l'hôpital .."

Lentement, sa tête se stabilisa vers le coté, alors qu'elle désignait du regard l'endroit auquel elle voulait accéder. Une chambre. Ou n'importe quelle pièce. Tout, mais pas aller de nouveau à l'hôpital, elle en avait tant la phobie .. Et rester ici n'était pas non plus le meilleur endroit.

Sa respiration était faible et sifflante. Elle se sentait partir pour le pays des rêves. Ou du coma. Qu'importe, elle fermait petit à petit les paupières, priant pour que le gamin ne la laisse pas aux mains des Hommes en Blanc qu'elle détestait au plus haut point.

Vu la teinte que prenait la jeune femme, il y avait de quoi s'alerter. De plante vivace, elle se transformait en glaçon. Et Aymeric n'avait aucune compétence en réanimation... Un massage cardiaque? Il risquait d'exploser la cage thoracique au lieu de faire redémarrer le cœur! Hé oui, il ne suffisait de bêtement appuyer en rythme... autant fallait-il le faire au bon endroit, avec la bonne pression, ça ne s'improvisait pas! Et Aymeric avait assez de bon sens pour ne pas improviser!
Aussi espérait-il qu'elle ne s'enfonce pas dans une sorte de coma, pire, la mort.

Elle bougeait faiblement, marmonnait des choses inaudibles, frémissait. Quelle était donc cette forme de crise? Aymeric n'avait jamais entendu parler de telle maladie...
*Mouais, je n'avais jamais entendu parler de ma propre maladie avant qu'on me la diagnostique!* Doutes... Il y avait tant de choses cachées...
Doutes... il y avait tant de mensonges.
Doutes... Et s'il n'avait jamais été malade?

Finalement, elle parvint à dire quelque chose... pas l'hôpital...
Curieusement, cela fit sourire le jeune homme. C'était ironique... Mais l'hôpital... Il en avait horreur lui aussi. Il avait été si affaibli par son traitement qu'il s'était demandé si on le soignait vraiment, si on ne le tuait pas à petit feu, plutôt. Et après son enlèvement, la mémoire vide des événements de cette semaine de torture... Une semaine de souffrances, à se remettre de ses blessures...
Une semaine seulement.

Non l'hôpital, ce n'était peut-être pas le meilleur endroit! Ce n'était qu'une crise, puis elle était consciente, preuve, elle lui parlait!
Alors qu'ils étaient seuls dans le couloir, il prit la résolution de ne pas laisser les médecins l'embarquer. Allez savoir pourquoi. Intuition? Possible. Parce qu'en dehors de son traitement, il n'avait aucun souvenir des sévices subis. Son corps n'avait presque plus aucune cicatrice. Il n'y avait que quelques fines marques blanches qui sillonnaient son corps là où on avait ouvert en grand. Le reste, superficiel, avait disparu.

Pas l'hôpital. Soit.
-Désolé, je vais devoir... te porter.

Si elle ne pouvait pas bouger, elle pourrait difficilement marcher! Mais elle avait fermé les yeux... Il prit son courage (haha, courage, elle est bien bonne!) à deux mains, se redressa, et souleva la jeune femme... qui n'était pas si lourde que ça... à moins qu'il soit plus fort qu'il n'y paraissait...
Néanmoins, ce ne fut pas si aisé de la transporter jusqu'à la première salle de cours. Il poussa la porte de son pied, et entra avec précaution, pour ne pas blesser la jeune femme... la tête dans le chambranle, ça ne fait pas du bien, et elle n'avait pas besoin de ça...
Il la déposa sur une table... et il entendit quelqu'un appeler...

*Improvise!!!* Il ferma les yeux. Il était haletant, d'avoir porté ce poids mort sur quelques dizaines de mètres! Cela ferait l'affaire. Il sortit de la salle de cours, et courut jusqu'au surveillant, qui venait...
-Ha... bah... vous... vous tombez bien! Elle s'est relevée d'un coup et elle est partie sans dire un mot... J'ai pas pu la rattraper...

Il espérait que le bobard passe... Il n'avait rien d'autre sous le coude. Le surveillant parut intrigué, soucieux.
"Bien, je vais rappeler les secours... Mais si tu la croises, tu l'emmène à l'infirmerie!"
-Oui oui...
Il ferma les yeux... Pfiouuu incroyable! Il avait réussi à faire croire que la belle s'était envolée en courant! Le surveillant partit, dans le but de téléphoner aux secours, certainement... Une fois hors de vue, Aymeric retourna en quatrième vitesse dans la salle de cours.

Elle était toujours là. Il ne savait pas si elle pouvait l'entendre. Il s'approcha d'elle, se pencha vers son visage...
-C'est bon, ils ne vont pas venir. Mais je préférerais quand même que tu te réveilles. Personne ne sait que tu es là et heu...

Et heu quoi? Voila sa timidité qui revenait au galop! Il s'était donné trop d'émotions fortes en portant la jeune femme et en racontant des mensonges au surveillant! Si cela venait à se savoir! Arf! Il valait mieux ne pas y penser!

-... La pause est finie dans 45 minutes, et y'a un cours ici, dans 45 minutes... et si tu te réveilles pas... si tu te réveilles pas... On l'a dans l'os...

*Hééé, je veux pas me faire virer et qu'on me mette en prison pour mise en danger de personne déjà en danger de mort et tout!* Bah oui quand même, cette idée l'effrayait... un peu... rien qu'un peu...

Dans les méandres de ses songes et hallucinations, elle parvint à entendre et comprendre le gamin qui s'excusait d'avance de devoir la soulever. Elle ne broncha pas lorsqu'il la porta, bien qu'un léger grognement se fit entendre. Là, elle se sentit transporter sans trop de problèmes jusqu'à la salle de classe avoisinante. Pas un clignement de paupières pendant tout le trajet. Le jeune garçon la déposa délicatement sur le bureau, alors qu'elle tressaillait au contact du bois glacé dans son dos dénudé. Puis elle entendit des pas qui s'éloignait, et elle comprit qu'il détalait. Il fuyait lâchement après l'avoir transportée là, quel manque de tact ! La femme ouvrit lentement les yeux, reprenant peu à peu ses esprits, lorsqu'elle entendit des bribes de conversation provenant du dehors. Elle tendit l'oreille, mais déjà, plus une voix ne se fit entendre, juste quelques pas.

La belle retint sa respiration, se redressant sur les coudes, sentant que la personne s'approchait de la salle. Elle se mordit violemment la lèvre, les yeux écarquillés, et .. Fut soulagée de se rendre compte que ce n'était que le jeune homme qui reparaissait. Lentement, elle laissa ses coudes glisser, se rallongeant ainsi de tout son long contre le bureau, qui chauffait lentement sous son corps tiède. Elle fronça des sourcils, eut un râle étouffé de douleur, amenant ses doigts tremblants à ses tempes qui la lançaient. Sharwyn entendit alors la voix du freluquet au dessus d'elle. Il devait être penché sur elle, inquiet. Il lui donna les paroles de délivrance. Lorsqu'il eut terminé, elle eut un doux sourire, rouvrant un regard bleu océanique qu'elle plongea dans les iris cendrées du jeune garçon.

Il avait obéi. Il avait accepté d'aller contre la loi pour plier à ses désirs. Il l'avait transportée en lieu sûr, le temps qu'elle aille mieux. Et maintenant, il ne semblait pas prêt à déguerpir tant qu'elle ne pouvait tenir debout sans aide. En fin de compte, ce marmot n'était peut être pas aussi stupide que les autres devaient penser. Pour la première fois, elle décida de parler normalement avec lui, sans le mépriser. Elle ferait fi de ses préjugés odieux sur les geek, pour s'en tenir à ce qu'il lui offrirait de lui et de ce qu'il était.

Elle se rendit compte alors que le regard de l'homme avait quelque chose d'intéressant à voir. Elle sentait que cet homme n'avait d'ordinaire que l'enveloppe charnelle, et encore. Elle n'avait pas encore posé ses yeux sur les fines estafilades qui parcouraient sans nul doute le corps du garçon. Son regard était toujours ancré dans celui du brun sans vouloir s'en extirper, et dans le sien, elle laissa un brin de reconnaissance poindre. Faut dire que sur ce coup là, il avait vraiment géré, le petiot. Elle aurait dû apprendre à connaître avant de juger. M'enfin vous me direz, se faire foncer dedans n'est pas la meilleure méthode pour faire connaissance sympathiquement. Bref, le vent semblait avoir tourné en la faveur du garçon, ce coup ci.

Il se remit alors à parler, et elle se mordit la lèvre, un peu gênée. Fallait pas qu'elle le mette non plus dans une situation embarrassante qui pourrait le faire renvoyer du lycée, non plus !

"T'inquiète, ça va aller .. Je vais déjà beaucoup .."

Elle ne termina pas sa phrase et se redressa en vitesse en position assise, et, complètement étourdie, prise de vertiges, elle ne prit pas la peine d'attendre d'aller mieux pour se remettre d'aplomb sur ses jambes interminables. Grossière erreur. Les yeux vitreux, mi clos, elle tituba sur quelques pas, avant de trébucher, prête à s'effondrer sur une table voisine à celle qu'elle venait de quitter. Elle était bonne pour tomber en se faisant vraiment mal cette fois ci, vive la maladresse hein -_-

Elle était réveillée, yeehoooo! Intérieurement, il était soulagé... Il n'aurait pas expliquer pourquoi un cadavre se trouvait en salle de mathématiques... Il pourrait user de tous les scénarii imaginables, aucun ne serait à la hauteur... Une morte sur une table dans une salle de cours, et lui comme seul "témoin"... nan, ça ne le ferait pas du tout!
Mais bon, il n'avait pas à s'en soucier, vu qu'elle allait... ouais, on va dire qu'elle allait mieux!

Elle semblait plus accessible, dans le sens où elle ne sortirait pas les crocs à la moindre parole. C'était déjà ça. Il recula, alors qu'elle se mettait assise. Elle était toujours palote, cependant.

-... mieux?

Elle n'avait pas terminé sa phrase. Mais il pouvait bien voir qu'elle n'était pas au top de sa forme. Elle était grande, certes, mais ne semblait pas plus forte d'une allumette en ce moment précis.
Elle se leva, même!

-... Je ne crois pas...

*que ce soit une bonne idée...* Et la suite des événements lui donna raison... Elle chancela, trébucha...

Il se revit, quatre mois plus tôt, dans cette même salle, deux tables plus loin. Le prof l'avait interrogé... c'était son tour d'aller au tableau et de résoudre l'exercice de math. Il s'était levé, avait fait fait trois pas... et paf, par terre, sans connaissance. Il s'était réveillé à l'hôpital, où on lui avait dit qu'il avait une maladie du sang très rare... Il en était guéri à présent, mais le malaise de Sharwyn lui rappelait le sien... et le calvaire qui s'en était suivi...

Il se précipita, pour la retenir. Il ne voulait pas qu'elle se mange une table... Il l'attrapa, alors qu'elle tombait en avant. Dans le mouvement, il fut propulsé vers l'arrière... Mais l'essentiel était qu'elle atterrit en douceur, sur Aymeric qui lui sentit son genou presque se disloquer... bref, il aurait une belle entorse...

-... aie!!!!!

Il ferma les yeux sous la douleur. Des larmes virent aux coin des yeux... Il serra la mâchoire, et rouvrit les yeux, en inspirant profondément. Ce n'était pas le moment de s'abîmer le genou!
La douleur était intense. Il se retenait de crier. Il tenait la jeune femme dans ses bras, et essayait de se relever.

-Hé.... t'es encore parmi nous?

Bizarrement, il n'était plus si timide, comme si sa blessure lui faisait oublier sa personnalité de surface. Il se retourna, de manière à l'allonger délicatement sur le sol, et enfin, il put se relever, en boitant. Il ne pouvait plus bouger sa jambe droite convenablement. Debout, il s'appuya au dossier d'une chaise... et respira...

La douleur diminua... lentement mais surement... Bizarre. Peut-être n'était-ce qu'un faux mouvement, sur le coup... Et tout irait mieux. Un peu comme quand on se cogne, sur le moment on pense s'être cassé quelque chose, puis finalement il n'y a qu'un vulgaire hématome de rien du tout, et ça ne fait plus mal au bout de cinq minutes! Oui, voilà, c'était pareil, là. Il ne s'était pas tordu le genou... C'était seulement un mouvement pas très... harmonieux avec son corps, on va dire. Mais maintenant, ça allait!

Il regarda Sharwyn, et boitilla jusqu'à elle. Il fut surpris de constater que son genou était en parfait état de marche alors qu'il ne pouvait pas plier sa jambe quelques minutes plus tôt...
Cela lui rappelait l'épisode de l'épluche-patates et de la cicatrisation instantanée... Nan, mais ce n'était pas réel...
Il chassa cela de ses pensées. Il y avait plus important pour l'heure.

Il s'assit à côté d'elle.

-Au fait, je m'appelle Aymeric. Aymeric Weidmann.

Peut-être que si on recommençait avec les civilités habituelles, ça irait mieux... non?

Elle sentit les bras du garçon la rattraper alors qu'elle était à quelques centimètres de se manger la table en pleine figure. Le choc se produisit donc entre un homme et une femme, et non entre une femme et une table. Sharwyn n'aurait apprécié aucun des deux, mais il fallait avouer que supporter de se cogner contre le freluquet était mieux que de finir défigurée à vie. Un craquement d'os qui se brise accompagna la collision. La belle écarquilla des yeux, attendant que la douleur vienne, le cœur battant à tout rompre, se demandant quelle partie de son squelette avait cédé sous la violence du choc. Rien ne vint. Juste une grimace furibonde de la part du brun, qui la déposa au sol en geignant de douleur. Son genou, c'était son genou. C'était lui qui était blessé. Fracture, assurément. Après le craquement sonore qui avait retenti, qui en aurait douté ?

La belle se redressa en position assise, toujours pas terre, le dos calé à l'un des pieds d'une autre table. Elle se hissa tant bien que mal sur une chaise, fixant d'un œil inquiet le jeune homme, assis lui aussi non loin d'elle, se calmant peu à peu. Sharwyn était tétanisée. Elle voyait la jambe du brun complètement foutue en l'air par sa faute ..

Amenant une main à ses lèvres dans un geste de stupeur et d'hébétude, elle finit par balbutier avec lenteur

"Je .. Toi, t'es bon pour l'hôpital, par contre."

Elle sortit son portable de sa poche, et commença à composer le numéro. Elle n'eut pas le temps de coller le mobile à son oreille que le jeune garçon se mit à marcher jusqu'à elle. Hébétée, elle le regarda faire, sans voix. Il semblait avoir une légère gêne, mais il ne souffrait pas le moins du monde. Avec une telle fracture, il aurait dû ne plus pouvoir poser son pied au sol !

Elle le laissa se poster devant elle sans un mot. Là, il tira une chaise en face d'elle, et s'y assit sans broncher, comme si jamais son genou n'avait été brisé. La belle se rappellait pourtant distinctement le bruit sec quand le choc avait eu lieu .. Elle le fixa intensément, complètement ahurie de ce qui se passait, et dans sa main son portable vibra légèrement. Quelqu'un parlait au bout du fil. Vivement, elle coupa la communication, reportant son attention sur l'homme, atterrée. Comment avait il fait ça ? Certes, elle avait prit un coup sur la tête en tombant, mais une telle hallucination, c'était du jamais vu ! Sharwyn n'y croyait pas. Il y avait autre chose. Mais quoi ?

Il se présenta dans les formes, comme si de rien n'était. Elle assimila lentement ses paroles, puis murmura

"Je suis Sharwyn Vathanen. Enchantée."

Un silence pesant s'ensuivit, et elle enchaîna un peu plus fort, d'une voix tremblante par la stupeur

"Mais comment t'as fait ça ?! Tu devrais être cloué au sol, après ce qui s'est passé !"

Appuyé sur le dossier de la chaise, il respirait doucement, profondément. L'oxygène influait. La douleur partait... Mais Sharwyn était à présent inquiète pour lui, et mentionna l'hôpital... Et il eut la même réaction qu'elle!

-Non, pas l'hôpital!

*Plutôt crever que d'y retourner* pensa-t-il. Il ne savait pas exactement quelle avait été sa maladie, quel avait été son traitement, mais ces quatre mois avaient un enfer, et le doute restait dans son esprit. Il ne voulait plus jamais mettre les pieds à l'hôpital, plus jamais...

Elle téléphona, mais revint sur sa décision en le voyant marcher jusqu'à elle. Elle avait peut-être cru que sa blessure était plus grave... à vrai dire, lui aussi! Cela avait fait un drôle de bruit pas très rassurant... Mais visiblement, rien n'était cassé, c'était certainement plus impressionnant qu'autre chose...

Il tira une chaise et s'y assit, avec facilité. Son genou n'était presque plus douloureux, et il pouvait le bouger normalement. Il se posait mille et une questions à présent, mais il y avait plus urgent en ce moment... Il aurait sans doute des réponses plus tard...
Elle coupa le téléphone, il se présentait. Autant faire les choses dans l'ordre!

-Enchanté, Sharwyn.

Il lui sourit. Finalement, ce n'était pas compliqué de parler aux autres... il suffisait seulement que les autres cessent de le prendre de haut et de le martyriser, c'était tout!
Mais voilà... Sharwyn avait aussi remarqué qu'il n'avait plus de blessure au genou. Il devait trouver une explication. Quelque chose convainquant. Lui même ne comprenait pas. Il ne pouvait pas dire "bah c'était pété, mais ça ne l'est plus!", parce que c'était tout simplement impossible, cela relevait du Fantastique! Il avait lu des romans, vu des séries avec des personnages pouvant guérir rapidement, mais ce n'était là que... inventions, balivernes, fantastique!

-C'était seulement déboité, ça s'est remis en place quand j'étais appuyé sur la chaise. Cela arrive parfois. Plus de peur que de mal... mais ça fait mal quand même... Mais bon genou va bien... Tu vois...

Il tendit la jambe et la replia. Il grimaça, avec la douleur... enfin... disons qu'il feinta la douleur, pour faire comme si. Il regarda Sharwyn.

- C'est seulement la rotule qui sort de son axe.

Il se sentait à présent assez confiance. Leurs premiers échanges avaient été houleux (houleux pour elle, balbutiant pour lui), mais à présent ils parlaient... un peu d'égal à égal, et ça... c'était bon! Enfin! Enfin une discussion avec une lycéenne qui ne tournait pas au cauchemar... pourvu que ça dure!

-Tu as l'air d'aller mieux. Le surveillant veut que tu ailles à l'infirmerie. Je suppose que tu veux éviter ça aussi.

Il regarda dans le vague. Petite amertume. Il laissa échapper son sentiment sur les hôpitaux et compagnie, sans vraiment le vouloir. Parfois on a besoin de parler. Mais dans ce foutu monde, il n'y avait personne pour l'écouter.

-... Je comprends. Je suis allergique aux médecins et autre personnel médical. Plutôt mourir que d'en voir un.

Elle fut surprise de le voir réagir comme elle. Mais que lui arrivait il ? Se moquait il de la réaction précédente de la belle ? Elle doutait que ce soit cela, il paraissait bien trop sincère. Quoi alors ? Elle n'allait pas le laisser dans un tel état ! Il était sérieusement blessé quand même. Elle dut pourtant se résoudre à obéir lorsqu'il marcha jusqu'à elle et s'assit à coté d'elle. Abasourdie, elle le toisa, méfiante, n'y comprenant plus rien. Elle cherchait désespérément dans son esprit une explication plausible à cette guérison accélérée. Il se présenta ensuite dans les formes, elle lui répondit machinalement, poliment, ressassant dans son esprit sans cesse le bruit du craquement des os d'Aymeric qui avaient été forcément brisés sous la violence du choc. Il mentait. Cela se lisait dans ses yeux. Elle lui demanda comment il avait fait ça, et il balbutia de maigres excuses. Comment pouvait il croire qu'elle goberait ça ? Il était complètement inconscient ou quoi ?

Elle soupira profondément, le fixant intensément. Ses lèvres frémirent, mais aucun son ne s'en échappa. Sa théorie tenait la route. Pourtant, l'avouer à celui qui démentait avoir guéri aussi rapidement n'était peut être pas une bonne idée. Que faire ? Garder ce secret pour elle, au risque de se penser folle et d'oublier tous les détails de ses souvenirs de cette mésaventure, et ne plus croire un seul mot de cette fantaisie qui venait de se produire ? Carrément impensable. Fallait crever l'abcès maintenant. C'était maintenant ou jamais.

Alors qu'elle s'apprêtait à rétorquer, il lui prouva qu'il avait toujours mal. Certes, il jouait plutôt bien la comédie, mais cela ne tiendrait pas avec Sharwyn. Quand elle avait quelque chose en tête, il ne fallait pas espérer que cela sorte aussi vite que c'était entré. Elle fronça des sourcils, bougonna, puis se tut. Détournant le regard, elle mit son cerveau en mode réflexion intense. Pesant le pour et le contre. Lui dire qu'elle savait, et risquer de se faire traiter de barge, ou se taire et se croire elle même complètement tarée ? Dans un soupir, elle fit son choix.

Elle choisit la première option.

Lentement, elle se leva de sa chaise, ayant un peu reprit ses esprits. Elle n'avait pas pu délirer à ce point, elle en était certaine. Elle avait entendu les os se briser.

"Ce que tu dis .."

Tête basse, ses cheveux d'ébène cachaient en partie son visage, surtout ses yeux d'un bleu intense et profond. Elle se pencha sur lui, et posa ses paumes à plat sur les cuisses jointes du brun. Là, elle releva lentement la tête, son regard perçant celui d'Aymeric sans une once d'hésitation ou de doute

"Ce n'est pas plausible. Et si tu démens ce dont j'ai été témoin, alors .."

Elle approcha son visage tout près de celui d'Aymeric, si près qu'elle sentait le souffle du pauvre homme contre son menton. Serrant ses phalanges comme des serres sur les jambes de l'homme, elle plongea dans son regard pour être certaine de l'hypnotiser, puis elle murmura d'une voix profonde et vibrante

"Ose dire que je suis folle."

Et c'est à ce moment là qu'on se dit "héééé merde!" La ruse d'Aymeric ne marchait pas, la mayonnaise n'avait pas pris. Son mensonge n'était pas passé... Et il s'en rendit compte bien vite, avant même qu'elle ne parle. Elle avait une expression d'incrédulité.

Elle se leva et se planta devant lui, se pencha et posa ses paumes sur les cuisses d'Ayemric. Il était, encore une fois, pris au piège. Pas de bol. Il cumulait les embrouilles! Mais il ne pouvait pas dire qu'il guérissait super vite, lui-même n'était pas certain de ne pas avoir d'hallucinations! Alors que faire? Mettre une inconnue dans la confidence? Une confidence basée sur des incertitudes et des impossibilités?

Et après?

Il la regarda dans les yeux. Il était vrai qu'il parvenait difficilement à mentir... Et elle avait ce regard bleu perçant qui le troublait tant.

-Mais... Sharwyn, je...

Il ne pouvait pas dire qu'elle était folle... elle ne l'était certainement pas. Son genou avait fait un sacré boucan, et qu'il soit guéri en cinq minutes, c'était impossible. Il ne pouvait pas si vite se mettre une nouvelle personne à dos. Il était démuni, si seul.

-... Je...

Il hésitait, sous pression... Il ferma les yeux et soupira. Il était dans une situation très délicate, et c'était quitte ou double... Et si ça se répandait? Néanmoins, il en avait marre d'être tout seul. C'était sans doute naïf de sa part, mais il se décida à parler... du moins, parler comme il le pouvait! Alors que les doigts se resserraient sur ses cuisses.

-... La vérité est que j'ignore ce qu'il se passe. Je ne comprends rien du tout. Je guéris très vite je crois, je ne sais pas pourquoi. J'ai été très malade les derniers mois, j'en ai même failli en mourir. Et à présent c'est tout le contraire. Je ne comprends rien, je ne comprends rien.

Il regarda Sharwyn dans les yeux. Il était sincère, et il n'avait encore jamais dévoilé ses doutes à qui que ce soit auparavant. Il avait décidé de lui faire confiance. Il était désemparé, perdu. Il ne savait pas quoi faire, et son étrange habilité à guérir rapidement venait d'être découverte... déjà!

-Tu ne le dis à personne hein? Les autres se moquent déjà assez de moi, je suis déjà une bête de foire, parce que je suis selon leurs dires un minus qui ne sait pas tenir tête.

Il se leva et s'éloigna d'elle, de quelques pas. Il serra les poings.

- Je n'arrive à rien, je suis maladivement timide et les autres se jouent de moi. J'en ai marre... Je n'ai pas envie que ça empire. J'ai besoin qu'on m'oublie.

Il avait aussi besoin qu'on le respecte... mais ça...

Il bredouilla quelques paroles, sans que le reste suive. Il eut le malheur de plonger dans le regard de la belle et ne pouvoir donc mentir avec aplomb. Elle le fixait intensément, prête à tout pour savoir la vérité. Elle sentait l'homme sous pression sur la chaise, qui se retenait de se tortiller pour échapper à ce regard profond.

Le silence était insoutenable, les deux élèves semblaient sous pression. A peine quelques minutes après son arrivée, voila Sharwyn mise au centre d'une intrigue de premier choix. Mais que se passait il dans cette ville de barges ? Elle n'en était qu'au début des confidences. Si il acceptait de se confier ..

Dans un soupir, elle fronça des sourcils. Oppressé, l'homme craqua enfin. Il lui révéla qu'il ne savait pas du tout à quoi était due ses régénérations douteuses et excessivement rapides. Donc, elle n'était pas folle. Il avait bien un don au delà du réel. Surhumain, lui ? D'apparence, personne n'y aurait crû. La femme se surprit à penser qu'il fallait vraiment qu'elle pense à regarder plus loin que l'apparence avant de juger quelqu'un.

Le jeune Aymeric se releva, elle lâcha ses jambes pour se redresser elle aussi. Avec ses talons, elle le dépassait presque d'une tête. Amusant. Mais la femme n'avait pas le cœur à rire. Il parla, l'air inquiet. Il avait réellement peur qu'elle dise à tout le monde qu'il était quelqu'un de différent, un monstre, en somme.

Un léger sourire narquois naquit sur les lèvres de la femme. Le morveux continuait à se comporter comme un gamin éploré qui ne savait pas se défendre. Cela pourrait être une expérience plutôt amusante de le pousser à ses retranchements, au bout du bout, le faire céder à la panique et à la colère. Cela ferait peut être de lui autre chose qu'une lavette qui ne sait que geindre et se lamenter sur son sort.

Lentement, elle rangea la chaise sur laquelle Aymeric avait été assis. Toujours ce même sourire affreux aux lèvres. Sans tourner la tête vers lui, le regard perdu dans le vague, elle lança alors

"Ce serait un bon moyen de me faire connaître .. J'imagine déjà le scoop .. La mauviette est en réalité un monstre .."

Son sourire s'étira, de plus en plus, alors qu'elle semblait réellement rayonner de son idée lumineuse. Elle, par contre, jouait bien la comédie. Alors comme ça il avait besoin qu'on l'oublie ? Elle rit intérieurement lorsqu'elle l'entendit se plaindre de nouveau. Voyons, mais ce gamin n'avait donc que ça en tête ? Pas étonnant qu'il ait cette face de mort vivant. Sa vie tournait autour du trouble que les gens lui faisaient subir. Il n'osait pas s'imposer.

C'était ce genre de mecs qui finissait par péter un câble et faire une fusillade dans son propre lycée avant de se donner la mort. Sharwyn eut un frisson en y repensant, et sa seule crainte fut que le nabot ait planqué un flingue dans son froc. Qu'importe. Elle s'approcha de lui, se planta face à lui, et l'aggripa par le col.

Sans le soulever, elle avança à grands pas, le plaquant violemment contre le mur, l'y piégeant, son regard pareil à celui d'un rapace

"Ça veut aussi dire que j'peux te cogner indéfiniment sans que tu puisses te plaindre aux autres que je t'ai frappé .. Excellent, ça .."

Son sourire carnassier en aurait fait trembler plus d'un. Mais Sharwyn espérait surtout que l'homme en aurait tellement marre de se faire agresser, qu'il finirait peut être par se rebeller. Elle voulait être certaine qu'il en avait dans le ventre. Quelque chose d'instinctif lui intimait de faire cela, de prouver à la mauviette qu'il n'en était une que par sa façon de réfléchir stupidement. Celui qui se dit "il ne peut rien m'arriver, je suis invincible", celui là, il pourrait soulever des montagnes. Ce n'était qu'une question de volonté. Sharwyn voulait extirper cette volonté du corps D'Aymeric, la réveiller, une bonne fois pour toutes.

C'était un service donné pour un service rendu.

Oui, oui, Aymeric était troublé au plus haut point. Le regard de Sharwyn le rendait tout chose, et il n'osait pas la vexer... De toute manière il n'osait vexer personne, c'était bien ça le problème, chez lui!
Il venait d'avouer qu'il se passait quelque chose d'étrange dans sa vie, un truc inimaginable... Il guérissait tellement vite qu'un genou en miette était intact quelques minutes plus tard.

Il était vrai qu'il se plaignait. Mais d'habitude il ne disait jamais rien et subissait, subissait, et personne ne lui prêtait main forte, ou presque. Il en avait marre, et la première manifestation de ce ras-le-bol, était une complainte, tout simplement. Peut-être qu'après, il passerait à l'offensive.

La belle lança une phrase qui donna des frissons dans le dos... Aymeric se retourna et la fixa... ça non... Il ne pourrait subir une attaque de plus! Etait-elle véritablement de ce genre là? Mangeait-elle le même pain que Briana? Difficile à croire. Ce regard, et leur faible conversation... jusqu'ici, elle ne s'était pas joué de lui.

Le regard d'Aymeric était teinté de peur, de frustration, de rancœur. Faisait-il confiance à la mauvaise personne? Mais à qui faire confiance, dans ce monde où même sa famille le laissait pour compte?
Il recula d'un pas, alors qu'elle s'avançait vers lui. Elle le chopa par le col de sa veste et le plaqua contre le mur.

Leurs regards en contacts, il ne pouvait pas se défiler. S'il ne voulait pas subir encore plus, il devait se révolter. Il la fixa, alors qu'elle insinuait qu'elle pouvait tout faire avec lui sans aucune preuve, puisqu'il se régénérait très vite. Il serra la mâchoire.
Il devait vaincre. Vaincre sa peur, se vaincre lui-même. Devenir homme.

Que voulait-il à la fin? Avoir la paix? Prouver aux autre sa valeur? Prouver à ses parents qu'il était talentueux? Il ne voulait pas subir encore et encore. Il ne voulait pas que le monde découvre qu'il était anormal. On le pointerait du doigt... et si on le kidnappait de nouveau, genre Zone 51, et qu'on faisait des expériences sur lui, pour savoir pourquoi il se régénérait aussi vite? Non pas de ça! C'était peut-être que de la science-fiction, mais sa vie à lui, sa particularité était réelle! Même Sharwyn avait été témoin de cette étrangeté!

Une douleur sourde dans son ventre. La peur, la haine. Son regard gris-bleu ressemblait à deux pierres brulantes. Il brûlait d'exister, de montrer aux autres qu'il n'était pas une mauviette.
Il ne pouvait pas...

... Il ne pouvait se laisser faire jusqu'à ce que la mort le rattrape...

Il ferma les yeux. Il leva la main, et se dégagea de Sharwyn...

-NON! NON! NON! Y'EN A MARRE! MARRE!

Il fit quelques pas vers une chaise... Il l'attrapa et l'envoya valser à l'autre bout de la pièce, une autre chaise tomba dans un fracas sonore.

-J'AI DROIT A UN MINIMUM DE RESPECT, BORDEL DE MERDE!

Il envoya une autre chaise valser... Cela défoulait, et ça faisait du bien. Il reversa une table, puis une autre. EN gros, il mit la pièce sens dessus dessous en quelques minutes.
Après quoi, il regarda Sharwyn. Il était toujours aussi énervé.

-JE SUIS PAS UN RAT DE LABORATOIRE! JE SUIS PAS LA POUR QU'ON ME DISE QUOI FAIRE ET QU'ON ME DONNE UN BOUT DE FROMAGE POUR ME RÉCOMPENSER! MERDE! JE SUIS LIBRE! JE SUIS UN ÊTRE HUMAIN! ET SI LES AUTRES NE COMPRENNENT PAS, J'Y PEUX RIEN S'ILS SONT CONS!

Il s'assit enfin sur la seule chaise encore debout. Il se passa une main sur le visage. Il tremblait un peu, ses veines battaient fort. Il se sentait... assez bien finalement... Il avait tellement réfréné ses pensées, avait tellement laissé les autres lui marcher sur les pieds...
La colère qui sortait enfin était salvatrice... Mais était-ce un feu de paille, ou bien le début d'une vraie révolution? Seul l'avenir pourrait le dire.

Ses yeux rencontrèrent de nouveau ceux de Sharwyn...

Elle le menaçait, encore et encore, de plus en plus, le poussant au bout de ses limites. La réaction ne se fit pas attendre. Sharwyn regarda la main se lever et la repousser en douceur. Elle fit mine d'être outrée, fronçant des sourcils, alors qu'il se dégageait habilement de sa prise au col. Là, enfin libre, il laissa sa colère exploser. Tout ce qu'il avait contenu pendant dans de temps éclata à cet instant précis. Sharwyn le regard envoyer valser les chaises, un léger sourire amusé aux lèvres. Eh ben. C'était pas trop tôt. Mais mieux valait tard que jamais.

Il parla de respect, puis jura. La femme amena une main frêle et blanche à sa bouche pour ne pas pouffer de rire. Les jurons sonnaient bizarrement dans la bouche de ce cancre, ce morveux stupide qui se laisse marcher sur les basques. Sharwyn se redressa, et s'adossa au mur sans un mot, redevenant brusquement sérieuse, alors qu'il se retournait vivement, virevoltant en tous sens, furieux, lançant dans sa direction un plaidoyer que la femme n'aurait jamais crû entendre.

Enfin, les cris s'estompèrent, les chaises furent immobiles, toutes couchées. Sauf une. Le jeune homme s'y assit, fatigué sans doute, mais pas las de tout, comme avant. La belle le fixa intensément. Le silence était pesant. Seul le souffle saccadé du morveux résonnait dans la pièce. Nerveusement, il se passa une main sur le visage. Ses doigts tremblaient. Ses veines palpitaient. Sharwyn, elle, lâchait le mur de ses omoplates, s'approchant lentement de lui.

Le temps semblait s'étirer, interminable, alors qu'elle approchait du nabot. Il n'osait pas la regarder, au départ. Ce ne fut que lorsqu'elle s'arrêta face à lui, qu'il releva la tête, et croisa son regard. Elle fronça des sourcils, comme en colère elle aussi de ce qui venait de se produire. Le silence se réinstalla, succédant aux pas étouffés de la jeune femme sur le sol froid et dallé de la salle de cours.

Enfin, le temps reprit sa course, cessant de s'éterniser. La belle se pencha lentement vers Aymeric, son visage à nouveau angélique et rayonnante. Un tendre sourire étirait ses traits et ornait ses lèvres pulpeuses. Elle semblait fière d'elle. Et de lui, aussi.

Ses phalanges blanches parcoururent presque fraternellement la tignasse ébouriffée du gamin. Toujours ce sourire malicieux aux lèvres, amusée, elle murmura alors d'une voix étonnamment douce

"Ben tu vois, quand tu veux .."

Puis, jetant un œil aux chaises éparses, et au bordel accumulé, elle ne put s'en empêcher, ce fut plus fort qu'elle. Alors qu'elle lâchait la crinière d'ébène de l'homme de sa main, ses yeux se clorent, et un tintement pur résonna dans la pièce.

Sharwyn venait d'éclater de rire.

Cinq minutes d'explosion, de vie. Un big-bang. Il fallait seulement que ce big-bang laisse suite à un univers en expansion, un homme en devenir, au lieu de se rétracter et redevenir ce minable petit adolescent. Il pouvait. Les capacités étaient là... Sa volonté, son courage devaient aussi se réveiller.

Assis sur sa chaise, il se sentait bien. Il était tremblant, mais c'était l'excitation, et non plus la peur qui l'habitait. Ilse sentait vivant d'avoir pu enfin s'exprimer.
Elle se rapprocha de lui, au début, il ne la regarda pas. Avait-il réellement mis cette salle de cours dans cet état? Peu importait, quelque part, il était fier d'avoir osé!

Elle se pencha et lui sourit. Elle était si belle. Un sourire d'ange, un regard qui allait avec cet être surnaturel. Qui était-elle? Qu'avait-elle fait? Pas grand chose... une provocation de plus... pour avoir l'effet escompté.
Il lui sourit. Un sourire rayonnant.... Il était subjugué, autant par la jeune femme que par ce qu'il avait accompli en l'espace de quelques minutes.

Elle porta une main dans ses cheveux noirs... C'était étrange... rare qu'on le fasse avec tendresse. Il rougit un peu... Ok, comme une pivoine, mais il était là...
Elle parlait d'une voix douce. Il ne savait pas ce qu'elle avait vécu, traversé, mais la crise, et son caractère paradoxal laissaient penser qu'elle n'avait pas eu une vie facile. Elle semblait fragile, une porcelaine aux yeux envoûtants, et elle était cependant plus forte qu'elle n'y paraissait.

Elle l'avait aidé. Tu vois quand tu veux... Quand on veut on peut. Il lui suffisait de ne pas se reposer sur ses nouveaux lauriers. Il pouvait le faire.
Son cœur battait fort, si fort. C'était ça, de vivre, finalement, d'être libre et de le faire savoir. Bien plus exaltant que de courber le dos!
Elle regarda les chaises, se redressa... et explosa de rire. Un rire cristallin, qui allait avec ma fragilité apparente de l'ensemble.

Aymeric se mit à rire lui aussi. Un rire plus grave, dans tous les sens du terme. Un rire tourmenté, mais dans lequel on devinait une pointe de joie, de renouveau.
Il se leva...

-Hé, viens, sinon, on va se faire chopper... autant les laisser avec ce capharnaüm!

Il ramassa son sac, et prit Sharwyn par la main pour qu'ils filent d'ici en quatrième vitesse... Après avoir tourné dans un couloir, il lâcha sa main.

-Désolé...

Il faisait référence au fait de ne plus la toucher! Il mit les mains dans les poches. Il avait encore un sourire bizarre sur le visage. Il se remit à rire en pensant à la tête des autres, quand il découvriraient l'état de la salle de math!

-Tu as faim? Il reste environ une demi-heure avant les cours... un peu moins...

Finalement, cette dépense d'énergie lui avait ouvert l'appétit!

Leurs rires s'entremêlèrent parfaitement, ce qui acheva de faire croire à la jeune femme que le petit miracle avait bel et bien eu lieu. Puis il se leva, face à elle, rasséréné et plus sûr de lui. Sharwyn était soulagée de voir qu'il n'avait pas choisi de lui tirer une balle dans le crâne. En fait nan, il était ptete pas du genre à se balader avec un pistolet dans le boxer. Fallait vraiment qu'elle arrête ses préjugés à deux balles, là.

Il parla, elle hocha la tête, gardant le silence. Il avait raison. Le pion qui les trouverait là les mettrait certainement en colle. Ou peut être même seraient ils renvoyés .. Alors que la belle venait tout juste d'arriver ! C'était pas le moment !

Le gamin lui prit la main et l'entraîna dans sa course folle hors de la salle de cours. Elle tentait de contrôler ses pulsions de violence, de ne pas se concentrer sur l'étau de chair qui enserrait sa paume. Lorsqu'ils furent sortis, un peu plus loin dans le couloir, Sharwyn n'en put plus. Stoppant net leur course, elle gronda, un grognement sourd qui monta du fond de sa gorge pour faire vibrer l'air ambiant. Aymeric comprit, et la lâcha aussitôt, piteux et honteux d'avoir oublié ce qu'elle lui avait ordonné une heure auparavant.

Il s'excusa, elle fronça des sourcils, mais ne broncha pas. Après tout, il l'avait pas fait exprès. Oublier, c'est humain. Oui bon, Aymeric n'était pas vraiment humain, mais .. Laissons ce détail de coté encore quelque temps.

Un petit rire s'échappa de la gorge du garçon, ce qui dérida la femme, qui cessa de tirer la tronche. Elle le fixa, sans sourire pour autant, et attendit qu'il continue. Il lui proposa de manger, et elle sentit son ventre implorer un oui de sa part. Il gargouillait tant, que Sharwyn ne put que bredouiller

"T'as raison, faut que j'avale quelque chose."

Finalement, Aymeric referma la porte derrière lui et ils se dirigèrent calmement vers le réfectoire pour déjeuner.

Lorsqu'ils arrivèrent, la moitié des élèves avaient la tête dans le coltard. Les autres mangeaient avidement. Cependant, Sharwyn capta quelques regard indiscrets dans leur direction. Cette dernière se rendit alors compte qu'elle se tenait toujours auprès du brun. Elle se décala discrètement, mais il était trop tard. Tout le monde jasait, chuchotait dans son coin en les regardant.

Si Sharwyn détestait quelque chose, c'était bien d'être épiée comme ça ouvertement. Se rembrunissant quelque peu, choquée par ces élèves avides de ragots et de sujets de conversation, aussi volubiles soient ils, elle se dépêcha de s'asseoir a une table dans un coin, un peu a l'abri des regards. Au bout d'une minute, ne tenant pas en place, elle se redressa, droite comme un I, ignorant parfaitement le brun, et alla chercher un plateau. Lorsqu'elle revint s'asseoir en face du gamin c'était en grognant. Même la dame qui l'avait servie lui avait lancé une boutade. Erk, comment tout le monde pouvait raffoler de s'immiscer dans la vie privée des gens. Sharwyn grimaça et se mit a manger rapidement. Fallait pas qu'elle s'éternise. Pendant tout le temps ou elle mangeait, elle fixait les gens qui les observaient avec curiosité et amusement. Un nouveau pseudo couple dans le lycée, ça faisait toujours cet effet la. Surtout quand il s'agissait du pire morveux geek qui soit, et de la plus mignonne nouvelle arrivante à peine fraîchement débarquée. Sharwyn qui ne voulait pas se faire remarquer .. Erf. En attendant, elle ne daignait pas accorder un seul regard a son pote du jour. Finalement, pas loin d'avoir terminé, la femme se redressa, nettoya ses babines de tigresse, et jeta un unique regard a Aymeric. La, elle grogna

"Je déteste ça .."

Puis, plissant des yeux pour contenir sa nervosité, détestant cette impression d'être reluquée, elle croisa les bras sur sa poitrine. Voila, elle n'avait plus faim. Ils l'avaient écœurée.

Quel accueil étrange... Aymeric avait l'habitude d'être accueilli soit avec indifférence, soit avec moqueries. En général, dès qu'il avait son plateau repas dans les mains, les sièges vides étaient soudainement occupés, et on le bousculait exprès pour que tout se renverse sur le sol, ou mieux, sur sa chemise.
Mais là, dès leur arrivée, certains ne purent que remarquer qu'il venait en même temps que la nouvelle, une jolie lycéenne certainement en terminale, pensaient-ils. Ils arrivaient en même temps et allaient au même endroit, et affichaient un air passablement complice...

Et voilà comment les langues galopent. Même les plus assoupis purent entendre "hé, t'as Nimbus avec une Bombe, où est l'erreur?" Mouais... Cela ne plaisait pas vraiment à Aymeric non plus! Décidément, le monde est peuplé d'imbéciles! Mais faites quelques chose pour réguler la population, l'Imbécile n'est pas une espèce en voie de disparition, pas la peine de promouvoir la reproduction chez eux!

Ils s'installèrent à une table. Les tables vides ne manquaient pas trop, certains avaient déjà fini de manger et avaient quitté la cafétéria. Les doutes étaient confirmés: ils mangaient ensemble!!!
"Nan pas possible, c'est sa sœur!" Aymeric ne pouvait pas avoir une amie aussi grande, aussi jolie... et encore moins une petite amie correspondant à la même description. Normalement, Nimbus mangeait seul ou bien avec ses copains. Copains qui l'avaient un peu déserté, par ailleurs.
Où est l'erreur? C'était-il inscrit comme tuteur pour les nouveaux élèves, afin de se faire de nouveaux amis? Toutes les téhories étaient bonnes pour trouver l'explication à pareil phénomène!

Et ça... Aymeric préférait ne pas y penser. Il posa son sac sur la chaise à côté de lui, et Sharwyn, rembrunie, alla se chercher un plateau repas. Elle revint en grognant quelques minutes plus tard... Il alla se chercher un plateau à son tour...
"Alors, Nimbus, je savais pas que t'avais une sœur? Ou une cousine? Ou bien c'est une professionnelle que tu as payée pour faire croire que t'as encore des amis en ce bas monde!"
L'effet Sharwyn était encore là. D'un air las, et un peu supérieur, il répondit du tac au tac:
-Ta gueule, j'ai pas besoin de payer les autres, moi...
Il s'en alla, fier de sa répartie, avec son plateau... Il pensait cependant que les autres n'en resteraient pas là...

Néanmoins, il revint en face de Sharwyn avec son repas, et se mit à manger. Il vit que Sharwyn était carrément mal à l'aise... Voulait-elle aussi leur envoyer des chaises dans la figure? C'était une idée!

-J'aime pas ça non plus. Les gens sont cons, point final.

Il mangea son plat à la hâte, il avait oublié qu'il avait un sandwich dans son sac! Il secoua la tête. Quel drôle de midi! Il reposa ses couverts après avoir englouti son repas.

-Bon bah, tu as quoi comme cours? On peut aller ailleurs...

C'est à ce moment là que choisi un élève pour déraper sur les reste de soda qui trempait le sol à un endroit précis... Forcément, son plateau repas fit une envolée spectaculaire... Et l'assiette, ainsi que les aliments se retrouvaient à l'état sauvage, mode "présentation de chips sur les paquets" ON. Escalope, petits pois, carottes, pommes de terre... le tout se déversa sur les cheveux et les vêtements des lycéens alentours...

Malheureusement, Aymeric faisait partie du lot.

Et là... L'inattendu se produisit. A bout de nerfs (tellement ras le bol qu'il ne lui arrive que des pépins), il se leva, se retourna et regarda le pauvre adolescent qui essayait de ramasser son assiette. Les autres rigolaient, bien entendu...

- TU PEUX PAS FAIRE ATTENTION, NON????

Il regarda ensuite les autres qui rigolaient.

-VOUS REGARDEZ QUOI LA? BANDE DE PARAMÉCIES! VOUS AVEZ L'INTELLIGENCE D'UN PROTOZOAIRE! QUAND ON AURA MIS LES CONS SUR ORBITE, VOUS 'AUREZ PAS FINI DE TOURNER!!!

Sharwyn, quant à elle, avait décidé de jouer la carte de la discrétion tant qu'elle le pouvait. Grignotant à moitié ce qui se trouvait sur son plateau, elle évitait soigneusement Aymeric des yeux, pour bien figurer aux autres qu'il n'y avait rien d'ambigu entre eux. Néanmoins, elle entendit très distinctement Josh, un gros dégueulasse qui ne sait être talentueux qu'en football américain, prononcer sa boutade. La moutarde lui monta au nez, elle serra les poings, lâchant lentement sa nourriture, se redressant lentement en se calant au dossier de sa chaise. Là, elle posa un regard d'un bleu profond et glacial sur le chahuteur, mais elle ne dit rien. Lui, croisa son regard au hasard, et s'y perdit, visiblement surpris qu'une jeune femme lui tienne ainsi tête alors qu'elle venait d'arriver. Les paroles que voulut prononcer Sharwyn, sortirent de la bouche d'Aymeric. Curieuse répartie de la part d'un jeune homme qui paraissait plutôt prêt à s'écraser sous les autres. Josh était de plus en plus abasourdi, visiblement. Du coup, il ne réagit pas de suite, et le jeune intello put regagner sa place sans encombres.

Mais c'était sans compter sur la poisse monumentale et apparemment populaire du brun. Alors que Sharwyn grignotait une frite pensivement, son regard se posa sur l'élève qui arrivait en trébuchant. Elle n'eut que le temps de se décaler en ouvrant la bouche, mais déjà le drame était fait. Les aliments volèrent sans qu'elle ait eu le temps de prévenir l'intello. Elle ferma les yeux lors du "choc", et les rouvrit lentement lorsque les gloussements succédèrent au silence. Aymeric en avait reçu, évidemment. Elle, non, de justesse. Habilement, elle se leva, prit son plateau, et s'avança vers la troupe de Josh. Elle entendit dans son dos Aymeric gueuler de toutes ses forces. Un léger sourire narquois vint à son visage. Ben dis donc, pour un intello de première classe, qui se tait et s'écrase ..

Le silence avait reprit, les gens faisaient mine de manger, mais regardaient toujours du coin de l'œil la table des deux fous. Seul le groupe de Josh proférait encore des imbécilités. Bien décidée à ne pas en rester là, Sharwyn s'approcha de Josh, alors qu'il parlait encore et encore

"T'as vu, ça lui donne un air, à l'intello ! Ça lui va bien le style j'ai un petit pois dans la narin.. Eyh !"

Sharwyn venait de balancer l'étendue de son plateau sur lui. Ses potes se mirent à rire comme des otaries, se moquant de lui. Il gueula, enragé, s'essuyant comme il put. La belle lui fit un de ses plus beaux sourires, avant de rassurer à son oreille

"Mais toi aussi ça te va bien mon cher .. Regarde comme t'es tout beau .."

Puis elle lui pinça la joue dans un geste faussement affectueux, avant de lui tourner le dos et de repartir vers le brun. Là, elle le dépassa sans un regard, marchant vite, en murmurant

"Viens. Faut te trouver d'autres fringues."

Alors qu'ils passèrent la porte de la cafétéria, on entendit un pion gueuler à l'intérieur

"Vous, vous, vous, vous, et vous, deux heures de colle demain matin ! Tu oses me répondre, Josh ? Ce sera trois heures, pour toi ! Tu en veux encore ?"

Ils l'avaient échappé belle. Et maintenant ? Elle espérait qu'il la guide, parce qu'elle, elle ne savait pas vraiment se repérer, ici ..

Il était euphorique. Sharwyn était sans doute la rencontre de la semaine, voire carrément de sa vie. Elle lui avait donné motivation et courage en quelques instants... Ce n'était pas si compliqué, finalement, d'envoyer chier les cons! Vu qu'il était seul au monde, que craignait-il, hein? De perdre ses amis qui déjà le désertaient depuis sa disparition?

Trop c'est trop!
C'est la goutte d'eau qui fait déborder la mayonnaise!

Le vacarme dans la cafète eut tôt fait de rameuter le pion... heureusement Sharwyn et Aymeric avaient déguerpi en vitesse avant qu'il n'arrive.

Ils s'arrêtèrent dans un couloir. Aymeric avait un sourire qui faisait trois fois le tour de sa tête.

-Bon... heu... Le mieux c'est la gymnase je pense, j'ai un t-shirt de rechange dans mon casier...

En plus d'avoir son survêtement complet. Donc, pas de problème, il pouvait se changer et avoir des fringues sèches et immaculées.
Il guida Sharwyn. Il fallait sortir dans la cour intérieur, et aller au fond, où se trouvait le gymnase.

Pendant qu'ils marchaient, Aymeric ne pouvait contenir son rire.

-Bon sang, c'est la première fois que ça m'arrive un truc pareil!!!

Il était tellement exalté, il se sentait capable de démonter le prochain qui se mettrait en travers de sa route.
Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent au gymnase. Il était ouvert, et il fut facile d'y entrer. Il laissa Sharwayn dans le couloir alors qu'il entrait dans le vestiaire des garçons. Il ouvrit son casier, et en sortit son survêt' et un t-shirt. Le t-shirt était à l'effigie de Sainte Alix, mais qu'importe, au moins il était propre!

Il s'assit quelques instants sur le banc devant son casier, et reprit son souffle. Il baissa son pantalon et observa son genou. Celui qui n'aurait jamais dû se rafistoler tout seul. Il n'y avait aucune marque, rien. Intact. Il remonta son pantalon, enleva son t-shirt... Il regarda son torse... avec ses fines cicatrices à peine perceptibles... les seuls vestiges de sa semaine de torture... semaine dont il n'avait aucun souvenir.

Qu'avait-il vécu, à la fin?
Il resta à scruter son propre regard dans le petit miroir de l'intérieur de la porte de son casier. Un regard triste, mystérieux, incompréhensif, perplexe. Qu'avait-il vécu?

Pendant qu'ils marchaient à grands pas, Sharwyn put remarquer que le petit bruno était étonnament euphorique. En effet, maculé de nourriture, il semblait aux anges. La belle l'observa au coin de l'oeil, sans trop comprendre. Lorsqu'enfin elle réalisa, ses sourcils se froncèrent, elle serra des poings, et, tout près du vestiaire, elle stoppa net sa marche, se postant en face de lui et murmurant

"N'oublies pas qui tu es, Aymeric. Trop de confiance en toi et tu boufferas même ceux qui le méritent pas. Ne deviens pas Josh. Perds pas ta voie."

Plissant des yeux, elle tourna les talons, et se dirigea vers les toilettes. Là, elle se pencha sur le lavabo et se rafraîchit le front abondament avant de se sécher consciencieusement. Un soupir s'échappa de sa gorge lorsqu'elle croisa son propre regard. Il était d'un violet profond et sombre. Que se passait il, ici ? Elle se sentait bizarre .. Faible. Pas comme tout à l'heure lors de son malaise, non, pas a ce point. Mais tout de même ..

Quelques tremblements plus tard, la voila sortie de nouveau. Elle s'assit sur le banc collé au couloir, près des vestiaires. Elle attendit qu'il sorte.

30 secondes, une minute. Deux. Trois.

Elle hésite, se mord la lèvre. Appelle timidement

"Aymeric ?"

Aucune réponse. Elle retente, encore une fois. Toujours rien. Fronçant des sourcils, elle se lève alors brusquement. Est ce son genou qui le lance à présent ? Il doit y avoir un problème. Il est bien trop long. Et puis, il ne répond pas ..

Elle se hâte d'entrer dans le vestiaire, quitte à braver l'interdit. Ouvrant doucement la porte, elle croise son reflet dans le coin du miroir. En son centre, le reflet d'Aymeric. Torse nu, regard vague, troublé et éreinté. Elle pousse un soupir

"Tu m'as fait peur .."

Avançant lentement, son regard s'attarde quelques secondes sur les cicatrices fines qui ornent le corps de Weidmann. Froncement de nez, elle s'arrête juste derrière son épaule, son visage dépassant, visible dans la glace. Là, elle murmure

"Qu'est ce qui ne va pas .."

Quoiqu'il puisse faire, elle avait vu les cicatrices. Il devait être franc avec elle, maintenant.

Euphorique, peut-être trop de confiance... temporaire? L'avenir le dira. Sharwyn, elle préféra le prévenir, le mettre sur ses gardes. Ne pas oublier qui il était. Il ne savait même plus s'il était toujours le même, avec les derniers événements.
Il ne répondit pas, se rembrunit quelque peu... Puis il laissa Sharwyn à l'entrée du vestiaire. Une fille chez les garçons, ça ferait jaser. Surtout une grande et belle jeune fille, nouvelle dans l'établissement, avec le loser de service.

Il ne se changea pas tout de suite. Il profita de ces instants de solitudes pour se calmer et réfléchir.

Perdu dans ses pensées, il ne l'avait pas entendue venir. Il avait seulement remarqué l'ombre de la lycéenne dans le miroir.
Il lui avait fait peur? Elle s'en faisait pour lui? Ironique. Une inconnue qui commence par l'engueuler s'en fait pour lui.

*Ce qui ne va pas?*

Il se retourna et la fixa dans les yeux. Les fines cicatrices, à peine visible, mais bel et bien présentes, étaient des vestiges. Vestiges d'une semaine sans souvenirs.
Il était troublé. Il ne savait pas quoi répondre.

-J'en sais rien...

Il passa une main sur ses abdominaux. On lui avait ouvert la cage thoracique, comme s'il avait été un vulgaire cadavre sur une table de légiste. Entre autres petites entailles tout aussi joyeuses.

-... Je n'ai aucune mémoire.

Il regarda sa peau, les fines lignes blanches presque imperceptibles. Les blessures les plus profondes. Pour les autres, c'était comme s'il n'y avait rien eu.
Il attrapa son t-shirt en tendant le bras vers le banc, et s'en vêtit.

- J'ignore ce qu'il s'est passé. Un jour j'ai disparu. Je me suis réveillé une nuit sur la plage j'étais quasiment mort. Une semaine de ma vie a été effacée. Et je n'ose pas imaginer ce que j'ai subi.

Il s'adossa aux casier et se laissa glisser pour s'asseoir sur la banc. Elle savait ce qu'il y avait de bizarre chez lui. Elle savait que son genou en miettes s'était remis en cinq minutes.
Il leva la tête vers elle.

-Je ne suis pas certain de vouloir retrouver la mémoire. Je voudrais pouvoir tout effacer et recommencer. J'aimerais être le nouvel élève au lieu d'être... Tu as bien vu comment ils me traitent. Depuis ma disparition, même mes amis me délaissent.